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· Restauration

Les plaisirs de la bouche, des papilles jusqu’aux mots

Ai-je ce qu’il faut pour devenir un grand parleur culinaire?

La seule réminiscence d’une odeur est capable de faire ressurgir 
ce pan de vie apparemment effacé. Parce que les souvenirs des odeurs s’accumulent automatiquement, à notre insu, ils retrouvent leur propre chemin vers la mémoire. 

Extrait de L’Essentiel de Chartier (2015)

 «C’est une représentation, un ballet, une danse : jamais un soir n’est pareil.» Tels sont les mots qu’utilise Marie-Ève Laplante pour parler de sa passion. S’agit-il d’une virtuose du cirque, de l’opéra ou de danse contemporaine? Rien de tout cela. Bien qu’elle ait d’abord été formée en théâtre, son domaine de prédilection est maintenant la sommellerie, et les créateurs dont elle traduit l’art par des mots bien sentis sont avant tout culinaires : «Il faut prendre le temps de déguster avec soin, attention et écoute, avec tous nos sens, même le toucher, la sensation de la langue. J’ai toujours été dans la littérature gourmande. Pour moi, c’est la plus belle des poésies. Juste la façon dont les mots sont écrits, ça me fait sourire. Pour en parler, il faut écouter son instinct et ce que l’expérience de la nourriture suscite dans notre corps.» confie-t-elle.

Aux yeux de Bobby Grégoire, celui qui parle des plats dans la salle a la grande responsabilité de représenter le chef et le message que ce dernier veut transmettre à travers son jeu de saveurs. Et le scénario laisse place à plus d’improvisation que jamais, alors que la tendance du moment est de ne laisser apparaitre, dans les menus, que la liste des principaux ingrédients, sans trop dévoiler comment l’art du chef parvient à les marier : «Une assiette, c’est un concept, traduit par des arômes, des gouts, et tout cela est constitué d’ingrédients. Les blocs, ce sont les ingrédients. Le problème, c’est que je n’ai pas de vidéo ou de photos des gouts variés. Je dois trouver un vocabulaire familier à la clientèle visée, mais assez évocateur pour garder ses surprises. De toute façon, c’est impossible de tout communiquer.» conclut ce dernier.

Et pour alimenter ce discours, rien ne vaut une belle anecdote, agrémentée d’une bonne connaissance des origines d’un produit et de quelques confidences sur ce que l’on ressent ou ce que l’on a pu vivre ou partager autour d’un plat. Cela est d’autant plus important que les jeunes générations qui visitent les restaurants et les tours culinaires se caractérisent surtout, selon Bobby Grégoire, par leur soif de vivre une expérience qu’ils pourront savourer, partager et même à laquelle ils pourront s’identifier, sur le plan de leurs valeurs intimes : «Si je décide de manger du foie gras, il faut que cet acte de consommation ait du sens pour moi, par exemple parce que le chef encourage des pratiques écologiques, ou encore aller manger dans une entreprise d’économie sociale, comme le Robin des bois, qui investit dans la communauté.»

Afin de bien doser ses mots et de faire vivre cette expérience exceptionnelle, Marie-Ève Laplante sait bien qu’il faut savoir se mettre à l’écoute de l’histoire intime que révèle son auditoire à travers les signes de compréhension et de plaisir: «Parfois, pour décrire un vin, je peux parler du moment où l’on pourrait le boire, le faire imaginer, juste pour rendre cela accessible. Si je sens que la personne ne veut pas quelque chose de compliqué, je peux faire référence à son quotidien. On fait référence à des moments, des contextes, des états d’esprit. L’idée, c’est de faire voyager les gens.» Voyager, c’est bien, mais, nuance Bobby Grégoire, sans jamais perdre de vue les repères, puisque, des cuisines à la salle à manger, toute l’attraction se joue entre le plaisir de la découverte et la peur de l’inconnu : «Quand j’utilise des épices de la forêt boréale, je vais faire une référence à ce que les gens connaissent. […] Avec le sapin baumier, tout le monde connait le sapin et peut l’imaginer. Si on a déjà gouté deux choses, on peut aussi les imaginer ensemble. On a cette bibliothèque en nous. La majorité des gens qui peuvent imaginer vont être prêts à gouter.»
Mais, lorsqu’il s’agit de faire voyager avec les mots et les saveurs, tous ne partent pas du même point; premièrement parce certains ont un odorat et des papilles naturellement plus éveillés que d’autres et, aussi, que certains sont plus attirés par un parcours classique tandis que d’autres, sont plus autodidactes. Ainsi, Marie-Ève Laplante, après une formation en bonne et due forme en sommellerie, est allée enrichir son savoir auprès d’une famille de vignerons français, œuvrant dans les règles de l’art. Bobby Grégoire, de son côté, tout en étudiant l’animation culturelle, a passé de recherches en explorations continues. D’ailleurs pour le chef Grégoire, cet appétit de l’esprit semble presqu’aussi important que celle du ventre, pour qui cherche à se démarquer et maintenir sa flamme dans l’univers du gout : «Tu n’es pas obligé de tout connaitre dès le départ, mais tu vas voir des gens d’expérience, tu observes et tu cherches ce qui te fait triper; sinon, tu deviens comme une hôtesse de l’air qui présente les consignes de sécurité, sans émotion. Tu as besoin de retrouver en toi les petits yeux qui pétillent de l’enfant qui va à La Ronde pour la première fois …et les garder! Les garder, c’est ça qui est difficile, mais ça s’apprend, ça se cultive. Sinon, il faut que tu saches de quoi tu parles et repérer un bon conteur autour de toi, le regarder faire et te demander, sincèrement ‘’Moi, est-ce que je serais capable de faire cela?’’ »

Mais pour celui qui s’est déjà laissé porter par quelques belles expériences d’hôtellerie et qui aimerait faire quelques pas de plus, comment retrouver la voie la plus viable, à travers les blogues, les émissions de cuisine et les visites guidées? Marie-Ève Laplante est de celles qui pensent qu’à partir du moment où une personne prend la peine de se déplacer, ne serait-ce que pour d’aller à la rencontre d’autres passionnés des saveurs de sa ville, il en reste toujours quelque chose : «On ne devient pas sommelier en quelques heures, il ne faut pas se leurrer. Mais on revient avec notre expérience à la maison et avec quelques techniques de dégustation et une expérience gourmande qui va faciliter d’autres prises de conscience à partir du moment où on passe à table. Peut-être aussi que l’on n’achètera plus une bouteille de la même façon. J’ai un élève qui m’a dit : ‘’Je ne vais plus à la SAQ de la même façon. Je n’ai plus peur de poser des questions, depuis que j’en connais un peu plus.’’»

Experts consultés :
Marie-Ève Laplante, sommelière et organisatrice d’événements gourmands pour Tour de la Table http://www.toursdelatable.com/

 
Bobby Grégoire, chef traiteur et spécialiste gastronomique http://bobbygregoire.com/accueil/

Marie-Hélène Proulx - Blogueuse Hotelleriejobs.com

Marie-Hélène explore la vie urbaine sous tous ses angles depuis une quinzaine d’années. Après ses débuts avec le guide touristique Le Petit Futé, elle s’est penchée sur les réalités sociales en complétant une maîtrise en sexologie sur les jeunes de la rue. Sa passion pour le journalisme indépendant ne l’a toutefois jamais quittée. Elle continue de vous partager ses autres découvertes sur le site du Montréal pour enfants et du webzine culturel La Bible Urbaine.